Lapsus 29/03/2023
Lapsus 12 - Spécial Colloque- "La parole dans la clinique de demain. Etat des lieux d'une dépathologisation et perspectives"
Le cinéaste Diego Governatori sera l’invité de la séquence du colloque “La parole dans la clinique de demain” intitulée « La parole, quelle folie ! ». Il s’agira d’une conversation autour du documentaire Quelle folie [1] qu’il a réalisé en choisissant de “filmer la parole” de son ami, Aurélien Deschamps. Dans ce Lapsus vous pourrez lire sa réponse à la question que nous lui avons posée sur le choix de la forme documentaire, puis un texte écrit par Marie Christine Bruyère inspiré par un entretien d’Aurélien Deschamps[2] qui a été diffusé sur France Culture en novembre 2022.
Diego Governatori, pourriez-vous nous dire quelles sont les particularités de la forme cinématographique qu'est le documentaire ? Par exemple, selon votre conception et votre expérience, ce qu'elle permet ou au contraire comment elle contraint ?
D.G. : Malgré les risques, les obstacles et les dangers inhérents à toute démarche documentaire - liés notamment à l’incertitude permanente qui l’accompagne, puisque le réel ne se livre jamais comme on l’attend - cette forme s’est imposée comme une nécessité absolue pour entreprendre la traque de la parole d’Aurélien. En effet, seul un « laisser-dire » spontané, libre de toute contrainte dramaturgique, a pu permettre à sa pensée de se révéler puis de se déployer dans son authenticité même, impulsant ainsi la dynamique et le sens du film. De plus, la légèreté induite par le dispositif documentaire - nous n’étions que trois sur le tournage - a aidé à maintenir notre dialogue dans une proximité qui, tout du long, s’est révélée indispensable pour accomplir cette expérience cathartique.
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Aurélien D., « accidenté du Symbolique », par Marie Christine Bruyère
C’est par cette nomination, qu’Aurélien D. enjambe le diagnostic d’autiste qui le qualifiait, pour asseoir sa formule dans le langage. Et s’y tenir en génial acrobate. De cet accroc qu’il épouse, il fait un trajet avec un souffle puissant cherchant à faire chanter, danser la parole et rendre le verbe gouleyant. Et ce n’est par fantaisie mais par extrême rigueur et nécessité qu’il se donne pour mission d’approcher au plus près la Chose, avec le mot ! Là où toute nos défenses sont faites pour voiler le réel et en être protégé, Aurélien lui s’avance au plus près et dit : « je risque tout ».
Sachant avec Lacan qu’il cite, que le langage est la seule demeure, il l’habite en funambule
pour écraser le réel, et les colossales données que celui-ci transporte et qui sont envahissantes. Les écraser pour libérer de l’espace en artiste du langage.
Sans le cadre de la parole formatée style celle d’un avocat ou d’un politique, et sans le recours
des définitions établies, il libère les mots enfermés dans les geôles du dictionnaire et il s’engage nu, dans la prise de parole. C’est son kif ! de se baigner dans cette énergie et d’y jouer sa partition. Parfois ça coule librement jusqu’à ce point d’arrêt de l’autre qui dit « ferme là » !
Parfois ce n’est pas ça, il n’y est pas, ça se défait et la parole tombe. L’exercice est à chaque fois périlleux. Aurélien D. fait performance « de la parole », il se fait porte-voix pour se fabriquer une consistance. Et transmettre en quoi le langage n’est pas communication mais parasite avec lequel on s’accommode plus ou moins bien, plus ou moins facilement. Sur cette frange où nait la parole, au joint de cette incorporation sensible, Aurélien est un surdoué des accidentés du symbolique.
Le combat pour faire rendre gorge au symbolique et sa rage pour exister sont fatigants, mais c’est sa façon d’y faire avec la duperie du langage, pour ne pas errer.
[1] Governatori D. (réalisateur), 2019, Quelle folie (documentaire), production : Les films Hatari
[2] Deschamps A., Aurélien D. ou la grande duperie du langage (entretien radiophonique avec C. Allezard, réalisé par V.Lamendour), France culture, nov 2022.