Lapsus 8/02/2023
Spécial colloque
Happythérapie
Par Vanessa Sudreau
La psychologie positive ou la forclusion de la souffrance psychique
Martin Seligman est né en 1942, Psychologue-chercheur il fut Professeur à l’Université de Pennsylvanie et se présente comme l’inventeur de la « psychologie positive » « que nous pourrions présenter comme une déclaration d’indépendance par rapport au modèle pathologique » indique Seligman lui- même[1]. Conçue comme le corollaire inverse du DSM, la psychologie positive propose de partir non de « ce qui va mal » (à l’instar du DSM qui série des listes de dysfonctionnements), mais de prendre son départ de valeurs millénaires qui favoriseraient le bien-être. Seligman le formule sans ambages « j’ai une mission » dit-il peu avant d’être élu Président de l’APA[2], et notamment celle de « tourner le dos aux modèles dépassés, négatifs, de la psychologie clinique »[3]. Seligman indique avoir construit sa psychologie positive à partir d’une « illumination » ( c’est son mot) surgie alors que sa fille de 5 ans lui expliquait ses efforts pour ne jamais se plaindre, et qu’elle s’étonnait que lui, son père, à son âge, n’y parvienne pas. Le discours de l’enfant l’aurait interprété…
Il s’agissait désormais d’entretenir les traits positifs des individus, et non de se focaliser sur leurs « problèmes ». Avant même qu’il ne devienne président de l’APA en 1998, sa théorie du bonheur et de la santé mentale, signifiant qu’il a largement contribué à généraliser, prirent tout au long des années 90 un essor vertigineux aux États-Unis : les financements pour la recherche se multiplièrent, des fondations, de grands entrepreneurs s’en firent les généreux mécènes tant cette « théorie » rencontrait l’époque dans ses idéaux d’autonomie et d’illimité. Comme le précise judicieusement Eva Illouz « ce nouveau "champ de recherche" a fini par estomper la ligne de démarcation, à la fois fine et poreuse, qui permettait jusqu’alors de distinguer la psychologie classique de ses versions mercantiles » [4].
Nous ne serons pas surpris d’apprendre que Seligman veillait jalousement à sa création : « [il] ne voulait pas voir accoler à sa démarche le moindre qualificatif quel qu’il soit - behavioriste, cognitiviste, humaniste, il refusait toutes les étiquettes »[5]. Si la psychologie positive ne manque pas de détracteurs, y compris aux États-Unis d’où elle provient, force est de constater que « l’appel à l’épanouissement personnel, le recours aux croyances dans l’aptitude de l’individu à l’auto-détermination, le tout revêtu d’une phraséologie pseudo scientifique »[6], a essaimé bien au-delà des States, et bien au-delà du champ de la psychologie…
1.Edgar Cabanas et Eva Illouz, Happycratie, Premier parallèle, 2018, p. 30.
2.La plus grande association de psychologues des Etats-Unis. Seligman est élu à sa tête en 1998.
3.Edgar Cabanas et Eva Illouz, Op. Cit., p. 26.
4.Ibid. p. 42.
5.Ibid. p. 29.
6.Ibid. p. 27.