Lapsus 25/01/2023
Spécial colloque - La parole dans la clinique de demain. Etat des lieux d'une dépathologisation et perspectives
Différentes facettes de la dépathologisation par Patricia Loubet
Le 15 janvier 2022, Martial Simon, une « figure » des sans-abris de Manhattan, connu des passants pour ses colères et ses propos incohérents, a poussé dans un accès de rage une femme sur les rails de la station de métro Times Square. Michelle Alyssa Go, 40 ans, est morte sur le coup. Ce passage à l’acte a ému les new-yorkais et pointé l’état de la psychiatrie américaine qui traverse « une crise de santé mentale »[1] se traduisant par l’augmentation dans les rues du nombre de personnes en détresse psychiatrique. Martial Simon avait été hospitalisé de nombreuses fois mais ces courts séjours n’avaient pas stabilisé son état. Le New-York Time conclut : « Diagnostiqué schizophrène, il devrait être interné jusqu’à la fin de ses jours ». Sauf passages à l’acte dramatiques, l’hôpital psychiatrique n’est donc plus en mesure d’assurer l’accueil à long terme de ceux qui ne peuvent s’inscrire dans le lien social.
Le fil Instagram de M Le magazine du Monde s’est fait l’écho de ce fait divers le 14 décembre dernier. Dans le fil des commentaires, on pouvait alors lire deux grandes tendances. Ceux éclairés par leur connaissance du sanitaire qui s’inquiétaient d’une situation comparable dans notre pays. Puis ceux, pris dans une version plus sociale de la dépathologisation, qui étaient rivés sur les mots employés dans l’article. Intolérable pour eux, de lire « schizophrène », « malade mental » ou « internement » pour parler de la situation de Martial Simon. Ces mots étaient par trop stigmatisant, diabolisant et réducteurs pour les personnes souffrant de troubles mentaux ; « les cataloguant à vie, sans espoir d’être autre chose ». La proposition d’une expression telle que « personne vivant avec une problématique de santé mentale » a fait l’unanimité.
Ce qui surprend c’est que l’importance accordée à la nomination supplante la gravité du passage à l’acte. L’insupportable qui a frappé l’esprit des new-yorkais et qui a révélé l’état préoccupant de la psychiatrie, s’est déplacé sur un autre insupportable : la stigmatisation abusive exercée par un diagnostic psychiatrique. La schizophrénie se résorbe alors dans un mode de vie et dévoile qu’aux yeux de l’opinion publique, le réel en jeu dans la pathologie mentale s’efface. Ce manque de discernement n’est-il pas le signe que le symbolique défaille, qu’il devient lui-même réel ? Il croise et renforce cet autre aspect de la dépathologisation qui se traduit par une désinstitutionalisation alarmante.
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1 Toutes les citations sont issues de l’article paru dans M le magazine du Monde, le 14 décembre 2022.