Lapsus 12/04/2023
Lapsus 17 Spécial Colloque- "La parole dans la clinique de demain. Etat des lieux d'une dépathologisation et perspectives"
A la fin d’une séance avec un enfant, son père me demande : « A-t-il des exercices à faire pour la prochaine fois ? »
Une petite fille est amenée par ses parents car elle ne veut pas écrire à l’école. Quelques séances lui permettront de dire son refus face à l’injonction de l’Autre. En revanche, elle écrit toutes sortes d’histoires et de potions magiques en cachette chez elle pour « se concentrer et être plus rapide » dit-elle ; produisant déjà un petit écart avec le trouble dont se plaignent ses parents. Sa mère demande : « Pourriez-vous nous écrire un bilan de votre évaluation ? »
A l’heure actuelle, le clinicien peut être convoqué à donner des éléments d’expertise et d’évaluation, parfois en quelques séances. Cette demande est séparée des effets de parole produits par la rencontre singulière entre le clinicien et le patient. Comme si d’un coup d’œil et sans même parler, de façon quasi énigmatique nous pouvions sonder les méandres de l’être, de son cerveau, de son comportement, de ses troubles, sans avoir recours à l’écoute éclairée ou la parole. La parole est ainsi dévaluée au profit d’actes techniques qui excluent la responsabilité du sujet et empêche la construction d’un savoir sur son symptôme. Ces injonctions emprunts de discours performatifs, évaluatifs traversent tout un chacun et s’entendent dans la manière dont un sujet va tenter de parler de lui. Lorsqu’il y parvient, les effets de ce dire, effets obtenus dans un espace ou la parole n’est pas prise à la légère, sont difficiles à faire reconnaître comme un traitement du sujet.
Dans une série télévisée intitulée Le mensonge, un enfant, Lucas, pris dans un conflit familial saillant entre son père et son grand-père, accuse de viol ce dernier. Suite à un interrogatoire mené par des « spécialistes », il va être pris aux mots et conduire sa famille dans de multiples procédures judiciaires. Dans l’engrenage de son mensonge, sa parole se détache de lui, se désincarne. Au fil des procédures, Lucas rajoute des faits, des détails prélevés dans des objets vus, des flashs, des images qui se produisent dans sa tête, dit-il. Des incohérences émergent, mais la machine judicaire est lancée et chacun y va de son fantasme. Il énonce ceci lorsque la juge lui demande s’il est d’accord pour procéder à de nouvelles expertises médicales :
« Alors Lucas, elle est ou la vérité ? »
« Je l’ai déjà dit et elle n’a pas changé. Un expert et un policier, ça sait voir la vérité sinon je serais jamais arrivé là ».
L’instant de voir, le temps pour comprendre et le moment de conclure selon la formule de Lacan[1], sont les trois temps logiques qui conduisent à l’assertion du sujet. Alors que ce que l’on dit prend valeur de vérité absolue, lorsque le « je dis » se transforme en un « je suis » enfermant et mortifiant, quel statut occupe la parole aujourd’hui ?
Cécile Guiral
[1] Lacan J., « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 197.