Lapsus  11/04/2023

Etre pas sans raison

Par Vanessa Sudreau

Une grande « substitution » semble s’opérer : réduction et standardisation de la langue commune d’une part, accélération de « l’action » évacuant l’acte de (se) dire, par ailleurs.
Les fous ne sont plus malades (ce que Lacan avait démontré en 1975 avec Joyce : certains fous ne sont pas malades, certains psychotiques ne sont pas fous). Ni malade ni fou, chacun est convié à s’éduquer pour améliorer lui-même sa « santé mentale » et son « bien-être » avec les offres du marché : des applis, des groupe d’Education thérapeutique, des psys, des coachs, de l’EMDR, de l’hypnose, diététique ou médicaments …
Dans « la passion du névrosé » (1986) J.-A. Miller indiquait que « le manque de raison d’être » est le propre de ce qu’a ouvert le discours de la science, amenant chacun à chercher à son existence une « raison suffisante »[1] puisque pour le névrosé « tout a une raison sauf moi »[2].
J.-A. Miller ajoutait : « notre civilisation ne peut qu’accentuer la contingence subjective du névrosé »[3]. Face à cette contingence qui s’accroît dans un monde « déconstruit », notre époque voit augmenter frénétiquement le tout a une raison jusqu’à rendre obsolète « l’ordre de la justification » qui est l’espace propice à l’émergence d’une question... le court-circuit de l’« ordre de la justification » augmente le risque, comme l’indique J.-A. Miller « que cela [vire] à la revendication du se faire rendre justice ».[4]
Parce qu’ « exister ce n’est pas grand-chose et qu’en tout cas ça ne prouve rien »[5] la dépathologisation lacanienne mesure au cas par cas la possibilité et la manière pour un sujet d’écorner l’universel avec sa parole, seule manière de produire sa raison d’être !

[1]Miller J.-A., « Affects et passions », La Cause du Désir, n°93, p. 115.
[2] Ibid.
[3] ibid., p. 115.
[4] Ibid.
[5] Lacan J., Scilicet 2/3, p. 4.

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