Lapsus 1/02/2023
Spécial colloque - La parole dans la clinique de demain. Etat des lieux d'une dépathologisation et perspectives
Adopte un diagnostic !
Par Victor Rodriguez
Dys, neuro-typique, bi-polaire… C’est un fait que les diagnostics courent. Ils courent partout. Dans les magazines, à la télévision, sur les forums internet, à l’école, au travail, à l’EPHAD. Difficile de passer à côté.
Dans la leçon du 19 mars 1974 du séminaire Les non dupes errent, Jacques Lacan évoque un moment historique, je le cite « (…) voilà ce qui pour nous à ce point de l'histoire où nous sommes, se trouve préférer, je veux dire effectivement préférer, passer avant ce qu'il en est du nom du père. (…) ll est tout à fait étrange que, là, le social prenne une prévalence de nœud et qui littéralement fait la trame de tant d'existences, c'est qu'il détient ce pouvoir du nommer-à au point qu'après tout, s'en restitue un ordre, un ordre qui est de fer. »
Qu’est-ce que ce moment historique auquel Lacan fait référence nous apprend de ces signifiants si particuliers que sont ces diagnostics ?
Dans cette remarque de Lacan, on peut souligner la dimension extensive du pouvoir de nommer. Ce qui dans un premier temps de l’enseignement de Lacan relevait exclusivement du nom du père et de la métaphore paternelle se pluralise. Aussi, il n’y a plus le nom-du-père mais les noms du père. La fonction même de nommer s’étend au-delà du père et peut procéder des noms communs prélevés dans le social pour faire l’étoffe du sujet. Cette pluralisation correspond à une relativisation voire à une perte du sentiment de l’amour et de l’idéal du père au profit de l’injonction surmoïque du social. La chose est sensible et subtile car le passage des existences orientées par la croyance au nom-du-père à l’ordre de fer du social s’accompagne de l’inflation conjointe d’une demande d’être et de la haine comme trace de l’évaporation du Nom-du-père. La demande d’être pour répondre au manque à être et la haine comme consécutive à la constitution de communautés structurées autour de ces S1.
Cette citation de Lacan est prophétique. Elle anticipe sur ce qui aujourd’hui a pris une dimension planétaire et déploie ses effets sur l’ensemble des registres de l’existence des sujets contemporains. Si c’est notamment sur la question de l’être que ces diagnostics apparaissent comme une solution telle que Lacan l’évoque dans la citation, s’agit-il pour autant d’une nomination en tant que celle-ci vise à nouer un signifiant à la jouissance singulière d’un sujet, à nouer du symbolique et du réel ? Évoquant le symptôme comme nomination, Jacques-Alain Miller fait remarquer que « c’est du réel qui ne peut s’aborder qu’au un par un »[1] car il est une marque qui a valeur de nom propre pour le sujet. Comme tout nom propre, cette nomination est intraduisible, ininterprétable et sans signification. Sa fonction est de nouer le savoir produit au cours de l’analyse à la jouissance irréductible du symptôme.
[1] E. Laurent, J.-A. Miller, L'Autre qui n'existe pas et ses comités d'éthique Séminaire n°12 - 12/3/97