Forum européen Zadig en Belgique "Les discours qui tuent"
Retour de Bruxelles, par Agnès Biaggioni
Décembre 2018
C'est samedi ; premier jour de ce mois de décembre, sapins et guirlandes scintillent mais en guise de fête c’est plutôt la colère qui gronde dans les rues de Paris à Bruxelles où jaillissent des propos de désespoir, de rejet, de mépris, d’incompréhension. Et fruit d’un hasard, peut-être inconscient, fait que c’est aussi le jour que le mouvement Zadig a choisi pour tenir son Forum, « Les discours qui tuent », qui témoigne de l’engagement de la psychanalyse dans la sphère politique et sociale. Le style du Forum s’inscrit dans une dialectique d’échanges suivant l’angle de vue de chaque intervenant. Chacun de nous est issu de paroles, c’est même ce qui fait l’essence de notre existence, nous sommes parlés bien avant notre naissance. La psychanalyse est sensible à l’incidence de ces paroles qui marquent les corps et l’histoire de chaque sujet. Les discours sont d’une autre nature, ils façonnent et habillent le lien social.
Aujourd’hui il y a urgence à décrypter certains discours qui diffusent de manière insidieuse des messages de haine, de rejet, de ségrégation, ils sont souvent rationnels, découlant d’une logique politique du bien pour tous. La montée des populismes en Europe et au-delà a vu fleurir au sujet des personnes migrantes des propos débridés commandés par la pulsion de mort.
En introduction, Gil Caroz (1) nous rappelle que les discours ne tuent pas mais qu’ils sous-tendent le passage à l’acte, qu’ils agitent et légitiment cette pulsion destructrice tapie au fond de chaque être humain. Ce forum a réuni plusieurs personnes d’horizon et de formations différents, tous concernés et engagés à partir d’un point qui les regarde.
De retour de ce Forum je retiendrai certains points forts qui m’ont saisie, et dont les énoncés m’ont remuée. La question de l’hospitalité aujourd’hui est sûrement l’aspect qui m'a le plus touchée. Cette question a été dépliée à partir d’actions sur le terrain au plus près des personnes et surtout mettant en lumière les effets de rencontre : « la rencontre a transformé la peur pour nous, en peur pour eux » (2) Rappelons qu’accueillir un migrant aujourd’hui est considéré comme un délit, le témoignage d’une journaliste nous en à donné la teneur, mais pour elle la menace et les intimidations n’ont pas eu les effets escomptés par l’Etat : « Ma peur s’est transformée en courage et en résistance » (3). Quelle belle leçon que cette mutation subjective !
Donner à l’hospitalité une dimension d’acte politique, c’est ce que propose G.Leblanc (4): « Dédramatiser le mot hospitalité ; il faut en faire un problème politique majeur. Il faut des lieux pour que cela prenne une valeur politique (institutions, hôpital, centres avec un accueil effectif ). L’hospitalité est une réponse à un appel, quand un sujet n’est pas entendu il est renvoyé à sa propre inexistence. Les barrières à l’hospitalité sont érigées par des discours qui fragmentent la société et opposent les cultures, mais aussi par des discours mensongers et trompeurs quant au nombre de migrants au regard de la population mondiale. Sans oublier la peur de l’étranger qui rejoint le sentiment d’étrangeté qui se niche en nous, et nous laisse peu ouverts à l’inconnu, combattre notre Gremlins intérieur dira un intervenant…
Les récentes élections au Brésil m’ont laissé un goût amer, les urnes ont porté au pouvoir un président qui se pense au-dessus de tout. Les paroles d’Angelina Harari (5) posent la question de la démocratie quand celle-ci est dirigée par un individu qui mêle religieux et politique, allant jusqu'à s’équivaloir à dieu, celles-ci ont résonné pour moi avec le discours totalitaire ; discours du maître qui se place au- dessus de tous et de tout. L’inquiétude « c’est un usage arbitraire des lois et le flou qui existe sur la séparation des pouvoirs entre législatif, exécutifs et judiciaire ». Les lois actuelles sont déjà là pour mettre en péril la démocratie.
Tout au long de cette journée, chacun a pu mettre la lumière sur les glissements sémantiques très habiles qui se glissent dans les discours relayés par la sphère politique, par les médias, et qui viennent colorer les discours ambiants. Il ne s’agit plus de racisme mais de culturalisme, on ne parle plus de lutte des classes mais de concurrences des victimes…
Les débats qui ont animé ce Forum marquent la volonté d’inscrire la psychanalyse au cœur des remous de la société et d’y apporter un autre discours.
1- Gil Caroz : Président de l’Ecole de la Cause freudienne
2- Adriana Costa Santos : Co-Présidente de la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés (Bruxelles)
3- Anouk Van Gestel : Rédactrice en chef de Marie Claire Belgique
4- Guillaume Le Blanc : Philosophe et écrivain, professeur de philosophie politique à l’université Paris-Diderot
5- Angelina Harari : Psychanalyste à Sao Paulo, Présidente de l’Association Mondiale de Psychanalyse.