

Vers les J50 - Interview de Yves Vanderveken
Vers les 50èmes Journées de l'ECF - "Attentat sexuel" - les 14 et 15 novembre 2020 au Palais des Congrès - Paris - Porte Maillot
"ATTENTAT SEXUEL" - Le blog des 50èmes Journées de l'Ecole de la Cause freudienne :
https://www.attentatsexuel.com/
"ATTENT(A)T" - Les soirées préparatoires aux Journées de l'ECF en Midi-Pyrénées :
https://www.associationcausefreudienne-mp.com/acf-et-ecf/attentat-soirees-preparatoires-aux-j50
Trois questions à Yves Vanderveken
Psychanalyste, AME de l'Ecole de la Cause freudienne, Membre de la New Lacanian School et de l’Association mondiale de Psychanalyse.
Pour préparer la soirée publique du 23 septembre à Toulouse, nous avons souhaité poser trois questions à Yves Vanderveken, qui a accepté, pour notre plus grand plaisir, d'y répondre.
Clémence Coconnier – Dans son argument des J50, Caroline Leduc avance que dans notre contexte de « crise du semblant phallique », le désir phallique se fait monstre, abus, aujourd’hui.
Peut-on parler de désir quand il n’y a plus/pas de phallus pour l'ordonner, l'orienter ? Peut-on séparer « désir » et « phallus » ; qu’est-ce que cela impliquerait ?
Yves Vanderveken – C’est une question difficile, qui demande une articulation précise. Cette articulation gagnerait à être un peu plus dépliée que je ne peux le faire ici. Oui, je pense que l’on peut parler de désir, même dans le contexte de crise du semblant phallique. Sinon, cela reviendrait à dire que le désir a disparu ou est en voie de l’être. Ce serait soit absurde, au mieux ringard au pire dénigrant.
Le phallus, dans l’articulation classique du premier Lacan qui le noue au Nom-du-père, est avant tout un signifiant. Le signifiant du manque de signifiant qui, par le nom, l’identification, donne sens à la jouissance. Par une opération de métaphorisation de celle-ci. C’est ce que Lacan déplie dans la métaphore paternelle. Mais une fois construite, Jacques-Alain Miller fait remarquer que Lacan ne s’y arrête pas. Il fait même un pas de plus, disant que finalement Lacan ne la construit que comme projection de ce qui manque chez le Président Schreber, ce qui s’y révèle manquant au moment du déclenchement de sa psychose. Le pas suivant qu’opère Lacan dans son enseignement, c’est de déplier immédiatement ce qui, disons avec un terme plus tardif de son enseignement, de la jouissance ne s’y résorbe pas, jamais. Et ce point non résorbable, le réel vers lequel Lacan oriente la direction de la cure, il l’aborde, au temps du séminaire VI, sous les termes du.. désir. Lacan évoluera dans cette voie vers le fantasme, l’objet a, la jouissance, et finalement la jouissance féminine – comme ce qui de la libido excède en quelque sorte le phallus.
Finalement, l’époque ne fait que radicaliser, conduire à son terme, cette logique. En isolant en fond une jouissance propre à chaque Un, qui est une jouissance Une, qui ne s’articule pas à l’Autre. Ce sera mieux… ou pire.
Alors, des conséquences de cela, on peut dire beaucoup. Enfin, plutôt faudrait-il se laisser enseigner par la clinique à ce sujet. Autocentré sur sa jouissance, certes, l’angoisse et l’ennui sont des affects qui sont majeurs. Cela rend-ils les sujets contemporains moins désirants ? C’est ce que toutes les générations antérieures disent de la suivante. Elles commémorent ainsi leur propre désir perdu.
Ce que l’on constate, pour dire une généralité, c’est un abord plus dénudé, plus cash à la jouissance. Disons plutôt, plus hors-sens. Cela rend le rapport à celle-ci plus libre, moins enfermé dans les carcans de la tradition, des interdits et des identifications – qui, ne l’oublions pas, sont épinglés par Freud comme étant ce qui produit les symptômes névrotiques qui n’ont rien d’enviables.
Le phallus articulé au Nom-du-père produit une opération que Lacan relie à la métaphore. Elle donne sens. D’emblée, ce que Lacan épingle comme y « échappant », sous le terme du « désir », Lacan en fait une… métonymie. Disons, que probablement la dimension de la métaphore, donc du sens, a du plomb dans l’aile. Que nous sommes dans le règne de la métonymie. Jacques-Alain Miller ne dit rien d’autre quand il fait de la pornographie généralisée et à la disposition de tous le paradigme de l’époque, en tant qu’elle conduit au degré zéro du sens et à une vacuité sémantique1.
Voilà qui donne forme nouvelle au troumatisme du sexuel, mais qui ne fait que dévoiler par une montée sur la scène frénétique, exhibée, forcée, brutalisée et répétitive, ce que nous, psychanalystes, avec Lacan, épinglons du non rapport sexuel. C’en est même une célébration, qui ne se satisfait et ne se résorbe en rien de sa répétition ou de son exhibition. Toujours le ratage est là. La réponse que chaque sujet y apporte, et y cherche, laissons-lui le crédit qu’elle n’est pas moins bonne ou meilleure qu’avant. Elle est autre. Nous sommes le laboratoire qui, par les cures, permet d’en récolter les effets, et conséquences.
Quant à la question clinique que sous-tend votre question, il me semble que la boussole réside de situer si cette jouissance est limitée, ou si elle ne rencontre pas un principe propre de limitation, et de perte. Tout autant que de savoir, qui en a et d’où en vient l’initiative – ce que Lacan isole dès son séminaire III comme un distinguo clinique fondamental.
1 https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2014-3-page-103.htm
Vanessa Sudreau – Lors de la soirée du 4 juin où furent discutés les arguments des organisateurs des Journées vous avez évoqué, à partir de l'argument de Caroline Leduc, la dimension abusive du phallus, dans la modernité. Pourriez-vous déployer plus avant ce point ?
Yves Vanderveken – Je disais que d’un point de vue purement psychanalytique, nous pouvions isoler qu’il y a une dimension qu’on pourrait dire, de structure, « abusive » du phallus. Pourquoi ? Lacan a magistralement formalisé le complexe d’Œdipe, dont Freud fait tout à la fois le pivot de la clinique psychanalytique et du malaise dans la civilisation, en tant que le phallus était ce qui venait signifier le non-rapport sexuel. Venant lui donner une signification et un ordre. C’est le signifiant de l’ordre symbolique. Il est en quelque sorte « l’imposition » - pas seulement au sens courant et négatif du terme, mais aussi au sens linguistique – d’un ordonnancement phallique de la libido.
Le phallus est ce qui vient – traditionnellement – donner la signification d’un X que Lacan articule, dans la métaphore paternelle, à un désir d’abord inarticulé, illisible, insensé ; situé comme le « désir » de la mère, qui se manifeste à l’infans dans ses allées et venues. Qu’est-ce qui en rend compte, comment peut-on l’ordonner, le signifier ? En l’articulant au signifiant paternel du désir et de la libido. Autrement dit, ce qui rend compte de la présence/absence de la mère, donc de sa libido, de ce qui « l’anime », c’est que quand son désir maternel n’est pas centré sur l’enfant, il est occupé, centré en tant que désir féminin sur et par le père qui possède, au-delà de l’infans, l’autre signifiant du désir – celui qui fait « courir » la femme. Qui la fait courir selon un ordre, celui de la tradition. C’est une mythologie. Foncièrement patriarcale, puisqu’elle articule l’ordre du désir au mâle.
Mais au-delà de ce mythe parental traditionnel éculé, Lacan, très tôt, l’articulant au réel de l’organe, indique pourquoi la signification phallique est à même de représenter cette dimension de « l’allée et venue » au mieux : de par la nature même de l’organe quant à sa jouissance que le signifiant phallique subsume – par sa dimension de tumescence-détumescence.
Il y a donc de structure un « abus de pouvoir » de la dimension phallique en tant qu’elle vient « imposer » un « ordre » dans un désordre supposé, supposé au regard de l’ordre que le phallus impose.
Par ailleurs, cette dimension de « violence » est portée, en soi, par l’organe mâle, par sa dimension d’érectilité, et aussi comme étant l’organe « pénétrant » dans la relation sexuelle, intrusive, invasive du corps de l’Autre féminin, ou dès lors « féminisé » (toujours au regard de la norme phallique) – ce que Freud avait tenté d’attraper par son fameux couple « actif-passif ».
L’époque a rejeté cette dimension de structure du signifiant phallique, elle ne l’accepte plus, elle a voulu s’en libérer – de par sa nature inégalitaire, hiérarchique, androcentrique, verticale ; dans un « rapport de force » qui réduit la jouissance à sa « norme mâle ». C’est à la fois contesté par le discours féministe, et au-delà tout le mouvement LGBTQ…, mais c’est un rejet qui rejoint, souvent sans le savoir, les déductions de l’expérience psychanalytique que la jouissance ne se laisse pas réduire à la seule jouissance reliée à la jouissance mâle – qu’elle l’excède en bien des points.
Au-delà de cette dimension d’imposition structurale, nous pouvons isoler un autre versant. À savoir que celui qui est porteur de cet organe phallique, de n’en savoir par ailleurs très bien qu’en faire, d’être une jouissance hors-corps, d’en être littéralement possédé comme échappant à son contrôle corporel, peut littéralement, dans une dimension de pauvre erre ou carrément de pur salopard, être aspiré, le bougre, plus qu’à son tour, par le caractère de structure de la dimension phallique. C’est un fait clinique majeur que cela « lui monte à la tête » et qu’il est plus qu’à son tour aspiré à en abuser – et ce d’autant plus que celui qui s’y croit, dans son identification phallique, est le même qui n’arrive pas à résoudre l’assomption quant à son sexe. Il y a alors rabattement, classique, de la dimension de structure d’abus de pouvoir du signifiant phallique sur le comportement réel de l’idiot qui se croit un peu trop mâle.
Ce que j’évoquais de l’époque dans le rapport au phallus, je l’attrapais sous forme de question. De la même façon qu’il y a, chez le dit homme, cette pente au rabattement de la dimension d’imposition propre au signifiant sur son comportement envers le féminin, l’époque, par son rejet du caractère arbitraire propre au signifiant, n’a-t-elle pas tendance à rabattre, au sens de réduire, la dimension du phallus et de son désir à un abus en soi ? Le désir phallique tend à devenir pour certains discours un abus comme tel.